Restaurer les bénéfices de la transhumance hivernale

GIEE transhumance hivernale

Pendant des siècles, les bergers béarnais ont emmené leurs troupeaux dans les plaines et coteaux aquitains en hiver, parcourant plusieurs centaines de kilomètres pour trouver de l’herbe. Cette tradition, de la transhumance hivernale, aujourd’hui presque disparue, suscite un regain d’intérêt notamment grâce à la demande d’exploitations céréalières ou viticoles pour de l’éco-pâturage.

Au travers d’un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE), l’Association des Eleveurs et Transhumances des Vallées Béarnaises (AETVB) et le CIVAM Produire Partager Manger Local ont souhaité faire renaître la transhumance hivernale et le viti-pastoralisme. Ils se sont donc engagés dans une démarche agroécologique collective et pluriannuelle, qui permettra d’expérimenter ces pratiques et d’améliorer les performances économiques, environnementales et sociales des exploitations.

La transhumance hivernale : une tradition ancienne

Pourquoi transhumer en hiver ?

La transhumance hivernale (aussi appelée transhumance descendante, transhumance inverse ou encore hivernage) est la descente des troupeaux des montagnes/vallées vers les plaines pour trouver des pâturages épargnés par la neige.

Beaucoup de troupeaux des vallées béarnaises gagnaient autrefois la plaine de Pau, mais il n’était pas rare que les bergers emmènent leurs troupeaux jusqu’en Gironde ou dans les Landes, le Gers, la Dordogne… Le système était simple : le berger était hébergé et nourri, en échange de l’entretien des terres, du fumier produit par ses bêtes et de quelques fromages et agneaux.

On trouve des traces de ces échanges dès le XIIIe siècle. Les bergers parcouraient parfois des centaines de kilomètres à pied – et plus tard en train ou en bétaillère – et s’absentaient quatre à six mois de leur exploitation, à la poursuite de l’herbe.

transhumance pyrénées aquitaine
Des ressources qui documentent la transhumance hivernale

Le déclin de la pratique

En 1930, le géographe Henri Cavaillès estime que 20 000 ovins transhument du Haut-Ossau pour se disperser sur les coteaux d’Aquitaine. En 1960, ils ne sont plus que 9000 selon un rapport adressé à la Direction départementale de l’agriculture*. Et ce déclin se poursuit dans les années 1960-1970 pour diverses raisons : réduction des effectifs de brebis, facilité de faire venir du fourrage en camion…

Dans le vignoble girondin, l’arrêt de la transhumance peut aussi s’expliquer par la modernisation de l’agriculture. Avec l’arrivée des tracteurs, des engrais et des pesticides, le recours aux brebis pour entretenir et fertiliser les sols semble moins utile. La transhumance hivernale fait figure de pratique archaïque et disparaît presque totalement.

*Source : Bernard Hourcade, « La transhumance hivernale du bétail du Haut-Ossau », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, 1969.

Restaurer la complémentarité entre pastoralisme pyrénéen et vignoble girondin

Alors, quel peut être l’intérêt de restaurer cette tradition de la transhumance hivernale dans le vignoble girondin ? Aujourd’hui, la viticulture comme l’élevage composent avec des contraintes et des défis nouveaux :

  • Côté éleveurs, la hausse du coût des intrants (fourrage, paille, concentrés et compléments alimentaires, produits vétérinaires…) et les menaces sur la ressource en herbe (liées au changement climatique, à la hausse de la prédation, aux dégâts de sanglier en estive…) obligent à trouver des solutions pour améliorer la rentabilité économique et l’autonomie alimentaire des fermes. Par ailleurs, la mise à la reproduction des brebis dès 15/18 mois ne leur permet pas d’achever leur croissance dans de bonnes conditions : il faut trouver une solution pour repousser l’agnelage à 24 mois sans que cela pèse sur l’équilibre économique des fermes.
  • Côté viticulteurs, la monoculture entraîne un appauvrissement et un compactage des sols, et le désherbage mécanique est coûteux en temps, en carburants et générateur d’émissions de gaz à effet de serre. Les vignobles sont donc fortement demandeurs de solutions naturelles d’entretien des sols, telles que l’éco-pâturage.

L’idée est donc de réinstaurer des échanges entre troupeaux béarnais et vignes girondines pour tirer parti des vertus économiques, mais aussi agroécologiques et socioterritoriales de la transhumance hivernale. Le postulat du GIEE est le suivant : faire revivre et moderniser la transhumance hivernale permettrait d’en faire une réponse vertueuse et efficace aux défis actuels de l’agriculture et de l’élevage.

transhumance hivernale vitipastoralisme

Le GIEE Transhumance hivernale

Aux origines du projet

Notre projet Transhumance hivernale démarre en 2021. A l’époque, Eric Guttierez, Président du CIVAM 33, est de plus en plus sollicité par des viticulteurs pour de l’éco-pâturage. Il a l’idée de solliciter Olivier Maurin, éleveur ovin transhumant basé à Asasp-Arros (64). Celui-ci réunit un collectif de 5 éleveurs partants pour expérimenter la transhumance hivernale. 200 agnelles sont envoyées dans les vignes du château La Dauphine à Fronsac (33) d’octobre 2021 à mars 2022.

Le bilan positif de cette première expérience encourage la poursuite du projet. En 2022, le CIVAM crée le GIEE Emergence « Des moutons dans les vignes » qui est financé par la DRAAF Nouvelle-Aquitaine, et mène le projet en partenariat avec l’Association des Eleveurs et Transhumants des Vallées Béarnaises (AETVB). Pour cette deuxième année de test, ce sont quelques 600 brebis qui passent l’hiver dans les vignes de 9 châteaux de Fronsac et du Médoc.

La création du GIEE

En 2023, l’AETVB décide s’investir davantage dans la coordination de ce projet qui rejoint sa vision d’un pastoralisme moderne et lui permet d’offrir à ses adhérents des solutions intelligentes et abordables. Pour prendre la suite du GIEE Emergence du CIVAM, l’association met en place le GIEE Transhumance hivernale qui regroupe 8 éleveurs transhumants des vallées béarnaises.

Le CIVAM reste un partenaire essentiel du projet, qui fait bénéficier l’AETVB de son expérience et continue de coordonner, de former et d’accompagner les viticulteurs qui accueillent les agnelles. Le budget du projet est de 37 635€ sur 3 ans, dont 30 000€ accordés par la DRAAF, et le GIEE est accompagné par une animatrice.

giee casdar

Les objectifs du GIEE

Le projet « Transhumance hivernale » porte une quadruple ambition :

  • conjuguer amélioration de l’autonomie alimentaire des exploitations, de la rentabilité économique, du bien-être et de la santé animale et des conditions de travail des éleveurs, en modifiant les pratiques d’élevage ;
  • répondre à la demande forte des viticulteurs de solutions d’entretien des sols à la fois naturelles, économiques et efficaces ;
  • recréer des synergies entre pastoralisme et viticulture, aux effets positifs individuels, collectifs et territoriaux (création d’emplois, valorisation de l’image du pastoralisme…) ;
  • constituer un exemple et une source d’inspiration pour d’autres collectifs, afin de mener à une généralisation de la pratique de la transhumance hivernale.
éco-pâturage vignes

Actions et résultats du GIEE Transhumance Hivernale

Coordonner une transhumance hivernale collective

De nos jours, un éleveur seul pourrait difficilement envisager d’envoyer une partie de son troupeau à près de 300 kilomètres de sa ferme. Les coûts de transport seraient trop élevés, et qui s’occuperait des brebis ?

L’organisation par l’AETVB et le CIVAM d’une transhumance hivernale collective permet de mutualiser les moyens : les éleveurs participants n’envoient que les agnelles, et gardent les brebis productives pour la fabrication du fromage. Sur place, un berger est embauché par les châteaux pour la garde et le soin des brebis : les coûts sont répartis entre les exploitations.

En 2023/2024, pour la première année du GIEE, 560 brebis issues de 12 fermes différentes sont envoyées dans trois châteaux du Fronsadais et deux du Médoc. Deux autres saisons sont prévues en 2024/2025 et 2025/2026.

Côté éleveurs, une réunion d’organisation avant le départ et une réunion de bilan un à deux mois après le retour des agnelles se tiennent chaque année. Côté viticulteurs aussi, le bilan est fait à la fin de chaque saison.

Sensibiliser aux pratiques agroécologiques

Chaque année, au moins deux réunions d’information sur le projet et de sensibilisation aux pratiques agroécologiques sont organisées, à destination d’un public de techniciens, d’agriculteurs, d’étudiants…

En 2024, se sont tenues :

  • Une rencontre avec l’association Transhumance en Quercy et l’OES Ovilot, qui ont souhaité découvrir l’organisation de la transhumance hivernale en Gironde.
  • Une présentation du projet aux viticulteurs de la Maison des Vins du Jurançon, qui étaient intéressés pour accueillir des agnelles dans leurs vignes.

D’autres rencontres et événements sont à venir, notamment des journées de présentation du GIEE au Lycée Professionnel Agricole d’Oloron Sainte-Marie, partenaire du projet.

Des participants très contents des premières expériences

Les premières réunions bilans et questionnaires de satisfaction collectés montrent que les éleveurs sont très satisfaits de cette expérience de la transhumance hivernale. Pour la saison 2023/2024, ils attribuent une note de 8,38 sur 10 à l’état de leurs agnelles au retour de la transhumance. Les bêtes sont en bonne forme physique et ont un comportement docile qui facilitera la garde en montagne.

Les éleveurs rapportent également : un impact positif de la transhumance hivernale sur le plaisir et la satisfaction au travail (9/10), sur la charge et la pénibilité du travail (8,38), sur le stress au travail (8,5), sur les bénéfices perçus pour le troupeau et l’exploitation (8,13). En revanche, la transhumance n’a que peu d’impact sur la qualité de vie (temps libre, congés…), avec une note moyenne de 3,88/10.

En termes de coûts, la transhumance revient à 30€/brebis (forfait pour les dépenses de foin/paille sur place et le transport), soit à-peu-près ce qu’auraient payé les éleveurs s’ils avaient envoyé leur agnelles en pension. Mais la transhumance a l’avantage d’impacter positivement la santé et la productivité des bêtes : ce que nous mesurerons plus précisément durant l’expérience, en suivant divers indicateurs de performance. Cette page sera bien sûr actualisée à mesure que nous enregistrons les résultats de l’expérience.

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